La douleur ! Cette douleur qui avait fini par la tétaniser, cette douleur ressemblante à ce que lui avait fait ressentir Wesley lorsqu'il lui avait montré ce groupe de Sorcier, et surtout Karl, qui l'avait torturé. Cette balle empoisonnée bloquée dans son épaule, non loin de son cœur, avait eu raison d'elle. Elle ne s'était écroulé qu'au moment où Louise avait été à l'abri, puis ce ne fut plus que des halos de lumière, d'image rapide qui ne durait jamais longtemps, la douleur emportait tout. Elle pouvait entendre certains mots, mais rien n'était vraiment clair. Puis ce fut le noir total, avant d'ouvrir les yeux dans une réalité créée à son image. Un rêve sans fin, un rêve auprès de Wesley et de Zélie. Aubeline était heureuse, se laissant totalement chavirer dans ce songe irréel. Oui, car la réalité était toutes autres. En vue de sa blessure, son père avait refusé qu'elle soit emmenée à l'hôpital, trop de risques d'être repéré, sa famille devait être protégée de toutes recherches des chasseurs. Il semblait bien plus qu'évident qu'il serait facile de trouver des blessers de leurs attaques à l'hôpital. La décision fut prise, Aubeline fut emmener au manoir des Hobbs au seuil de la mort. Ses parents firent appeler les plus grands thaumaturges, mais ce fut réellement la grand-mère d'Aubeline, Adeline Penrose qui vint à agir en première. Infirmière dans une vie lointaine, elle vint à retirer la belle et faire les premiers soins avant que la relève soit prise.

Pendant plus de sept jours, des personnes se relayèrent au chevet d'Aubeline, maintenu dans un sommeil pour son propre bien, pour qu'elle se régénère, qu'elle soit plus forte. Même si la balle avait été retiré, le poison opérait toujours et il faudrait de temps avant que celui-ci disparaisse de son organisme. Beaucoup prétendirent qu'elle avait eu de la chance car quelques centimètres plus bas, elle ne serait simplement plus en vie. De la chance, ce n'était pas sûr qu'à son réveil, la sorcière le voit ainsi.

C'était un début d'après-midi, elle savourait son temps avec son époux et sa fille, une vie parfaite, mais des bruits étranges la faisait s'interroger, ses bruits devinrent des voix lointaines. Elle était comme appelée ailleurs, alors qu'elle n'avait aucune envie de quitter cette vie. Elle s'accrocha fermement aux mains de Wesley, mais il disparut et elle murmura :

- Wesley...

Ses paupières étaient si lourdes, elle savait qu'elle devait ouvrir les yeux, mais il y avait trop de lumières, trop de bruit autour d'elle. Puis ce fut la douleur,son corps lui semblait être crispé, puis son épaule, il était si difficile de respirer sans souffrir. Les yeux mi-clos, elle distingue une forme sans vraiment voir qui cela pouvait être et la seule question qui sortit de sa bouche fut :

- Est-ce la réalité ?

La balançoire grinçait à chacun de ses mouvements, la sirène allait d’avant en arrière, allongeant ses jambes, et croisant les doigts pour ne pas y être éjecté. Sous cet arbre, sa longue chevelure brune s’élevait dans les airs, claquant avec force son dos lorsqu’elle s’élançait un peu plus vers le ciel. Parfois, Pree fermait les yeux, se concentrant sur tout ce qui l’entourait, les sons, les odeurs, le contact froid du vent sur sa peau d’ébène. Elle appréciait ses moments de tranquillité, sortant de cette oppression constante présente dans la maison. La jeune femme avait besoin d’air. Cela faisait déjà trop longtemps qu’Aube avait été blessé et Alaïs sauvée. Trop longtemps que la sorcière hantait cette balançoire en se remémorant des souvenirs, cherchant à comprendre comment cela avait pu arriver. Elle se souvenait l’avoir perdu de vue lorsqu’elle avait ordonné à une chasseuse de défendre les siens, son regard l’avait alors suivi, l’observant massacrer sa propre communauté. C’était à ce moment-là que toute deux avaient été séparés, l’une avançant tandis que l’autre restait sur place. Les cris, le sang, la colère, tout ceci étaient gravé dans sa mémoire. Sa haine pour les chasseurs était telle qu’elle n’avait fait aucune concession, elle avait ordonné, volée de la vitalité pour se renforcer, entailler les corps… C’était une soif de sang qui l’avait animé, un besoin de vengeance pour toutes ses sœurs massacrées à travers l’histoire, pour toutes ses femmes qui furent prises pour des magiciennes, pour Wesley, pour sa mère, pour son familier… Tout avait été un prétexte pour imploser. Pree avait pris plaisir à montrer sa force, sa supériorité. Aucun d’eux n’avait mérité de vivre après s’en être pris aux siens. Aujourd’hui, la sirène faisait face aux conséquences de cette libération.

Lorsque la fille de l’ombre rentra dans la maison, elle sentit cette ambiance électrique lui hérisser les poils de bras. Le silence régnait en maître, si pesant, si fatiguant, mais c’était son tour de garde. Et plus elle se rapprochait du salon, plus elle avait envie de retourner sur sa balançoire et continuer de faire semblant que rien n’avait eu lieu. Pour le monde extérieur, personne ne savait qu’Aubeline Hobbs avait été blessé, tous devaient garder les apparences pour leurs propres sécurités. C’était une question de survie, car comment expliquer une telle blessure aux simples humains ?

Le voile pesant du silence se brisa lorsque Zélie, refusant d’aller dormir, courait dans les couloirs, poursuivit par une Arline excédée. Cette situation avait eu des répercussions sur chaque Hobbs. Certaines comme Pree disparaissaient, ressemblaient à des coups de vents, quand d’autres restaient aux chevets, hantaient les couloirs. Et d’autres, explosaient dans tous les sens, comme ses propres enfants qui étaient avides de nouvelles, assoiffé de présence. Toutes avaient réagi différemment face aux conséquences de leurs sauvetages.

Sous les regards suppliant de sa jeune sœur, la sirène attrapa la jeune fille et lui murmura à l’oreille : « dort d’un sommeil sans rêve petite kumeza ». Et avant que le corps de Zélie ne tombe au sol, Agrippine l’a pris dans ses bras et la monta à l’étage. Ce n’est quand arrivant près de la chambre de sa sœur qu’elle entendit des gémissements, des supplications. Alors après avoir mise au lit l’enfant, elle rentra dans la chambre et vit alors des yeux vitreux la fixer.

- Oui, c’est la réalité, dit-elle d’un ton qui se voulait rassurant, je vais prévenir les autres que tu émerges enfin.

Descendant dans les marches, elle sentit le soulagement lui réchauffer le sang. Enfin, cette maison pouvait reprendre son souffle. Ouvrant doucement la porte, elle laissa passer sa tête avant d’annoncer la bonne nouvelle.

- Elle est réveillée.